En quoi consiste le storytelling ? (1/2)
Posté le 16 Oct. 2013
Il était une fois le storytelling… cette technique savamment utilisée en politique par Ronald Reagan dans les années 80, et qui n’en finit plus d’être déployée aujourd’hui, par de malins marketeurs, publicitaires, coachs en management, et autres vendeurs experts, etc.
Car cet «art de raconter des histoires» fait recette, tant en politique qu’en marketing (pléonasme ?). Et l’avènement du web n’a fait que renforcer cette tendance lourde : du storytelling au brand content, il n’y a qu’un pas.
Pour comprendre en quoi consiste cet outil de «distraction massive» (selon Christian Salmon – La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits – Editions La Découverte), parcourons les récits de campagnes politiques et publicitaires ayant marqué la mémoire collective, et voyons comment le storytelling s’applique, très ingénieusement, à la vente en magasin.
Qui a inventé le storytelling ?
A vrai dire, on nous raconte des histoires depuis la nuit des temps.
Des paraboles de la Bible, aux mythes grecs, en passant par les fables de La Fontaine et les contes du Petit Prince de Saint-Exupéry, les belles histoires ont fait avancer l’humanité et continuent de faire rêver l’enfant qui sommeille en nous. Inventées, romancées, inspirées de la vraie vie ? Peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse.
Mais les spécialistes s’accordent à dire que le storytelling a été inventé par les anglo-saxons. Alors inventé ? Peut-être pas. Mais conceptualisé, oui (le mot est bien anglo-saxon), et intelligemment utilisé au départ, à des fins politiques, certainement.
« A good story ». Voici ce qui aurait manqué à John Kerry en 2004, pour remporter l’élection présidentielle, face à George W. Bush, selon Christian Salmon. Et ce sont justement ces «stories» qui remplacèrent progressivement les arguments politiques de fond et les chiffres officiels, dans les discours de Ronald Reagan des années 80. L’ancien acteur d’Hollywood croyait dur comme fer au «pouvoir des histoires» et c’est qui a peut-être fait de lui l’un des présidents américains les plus charismatiques.
Mais toujours selon Christian Salmon (Article du Monde Diplomatique, novembre 2006), c’est sous la présidence de Clinton que le storytelling politique est entré à la Maison blanche, et que les consultants experts en communication politique ont activement contribué à la communication «narrative» des présidents. Une petite phrase, une image choc, une histoire à la portée de tous : bien mieux que tous les discours.
Storytelling politique
La mise en récit du pouvoir est donc aujourd’hui l’arme préférée des spin doctors américains, et Obama en est, peut-être, actuellement l’icône internationale.
Mais la France n’est pas en reste.
Depuis «les yeux dans les yeux» de Chirac à Mitterrand et «vous avez tout à fait raison Monsieur le Premier Ministre» de Mitterrand à Chirac (débat télévisé du second tour de 1988), les formules choc s’ancrent dans nos mémoires, et rendent les batailles politiques plus accessibles. Plus récemment, c’est l’histoire du pain au chocolat de Jean-François Copé par exemple, qui a marqué les esprits, tout comme la marinière Made in France d’Arnaud Montebourg, ou encore le «plombier polonais» de Philippe de Villiers «qui viendrait prendre le travail de nos artisans français», illustrant avec clarté les conséquences de la proposition de libre circulation des travailleurs européens dans l’espace communautaire, lors du complexe débat sur la ratification du traité constitutionnel européen (2005).
Raconter une histoire simple, courte, à la portée de tous : voici l’une des clés du storytelling.
Mais il y en a d’autres : investir la sphère émotionnelle, plutôt que rationnelle, est typiquement ce que les publicitaires s’emploient à réaliser en racontant de belles histoires aux consommateurs.
Storytelling publicitaire
Si vous demandez à Jacques Séguéla son avis sur le storytelling, il vous répondra que les publicitaires en ont fait pendant longtemps sans le savoir.
L’un des cas d’école les plus marquants peut-être, pour illustrer le storytelling, est celui du spot TV QUEZAC de 1995. Aucune description produit en bonne et due forme (qualité de l’eau, pureté de la source, bénéfices précis pour l’organisme), si ce ne sont ses «bulles miraculeuses» qui « apporteraient gaieté et longue vie à quiconque la boirait ». La force du spot repose uniquement sur l’imaginaire, la légende, et la charge affective que dégage le visage de cette petite fille qui raconte l’histoire. 20 ans plus tard, on se souvient tous de ce visage, et du fameux clap de fin « é qué s’apelorio Quezac ».
Jacques Séguéla -et ce n’est pas le seul- attribue la montée en puissance de cette tendance de fond à Internet. Le web : un support idéal pour produire des contenus vidéo sans contrainte de temps (contrairement aux spots télévisés), et avec une grande liberté de ton. Grâce au web, l’advertainment est né (fusion entre publicité et divertissement).
Typiquement, les marques de luxe s’en sont donné à cœur joie ces dernières années pour raconter leur histoire sous forme de sagas vidéos et autres contenus narratifs enchantés. Les contenus institutionnels se substituent aux contenus produits, et c’est le rêve, avec supplément d’âme, qui fait la différence.
- La web-saga LADY DIOR 7 volets (Marion Cotillard) illustre à merveille le storytelling, tout comme la dernière publicité DIOR J’ADORE, avec Charlize Theron qui défile au Château de Versailles.
- Plus récemment (mars 2012), c’est CARTIER qui a créé le buzz -17 millions de vues sur You Tube- avec sa nouvelle publicité « L’Odyssée de Cartier ». 2 ans de préparation et 4 millions d’euros ont été nécessaires à la réalisation de ce petit bijou, avec pour égérie sublimement filmée, la fameuse panthère (symbole de Cartier depuis 1910).
Autre exemple « cas d’école » en matière de storytelling, dans l’univers cosmétique (17 millions de vues sur You Tube) : le film DOVE EVOLUTION, qui met en scène sans trucage la transformation de Mademoiselle Tout le Monde en fille sublime, grâce au maquillage, coiffage, et retouches Photoshop.
Le message de cette vidéo ? « No wonder our perception of beauty is distorted ».
Un soutien extrêmement efficace à la philosophie de DOVE, et à celui de sa fondation (the Dove self-estime fund) : restez vous-même, restez vraie, vous êtes belle comme cela. Et ne vous faîtes pas d’illusion : la beauté des filles des magazines est truquée.
Dernier exemple récent, et cette fois, événementiel : les Journées Particulières LVMH.
Imaginées par Antoine Arnaud, l’ambition de cette grande fête du patrimoine artisanal était claire : raconter les marques du groupe non pas à travers leurs produits, mais à travers le savoir-faire de leurs artisans et leurs lieux mythiques de création. La plus grande usine à rêve du monde se rendrait accessible… et gratuite. Quelle jolie idée.
Ces coulisses ouvertes au Grand-Public ont donc dévoilé les écrins de nombreuses marques du groupe, partout en Europe : Dior, Givenchy, Chaumet, Louis Vuitton, Berluti, Guerlain, Fendi, Hennessy, Bulgari, pour n’en citer que quelques-unes.
Rendez-vous la semaine prochaine pour la deuxième partie de ce décryptage!